Interview de Nicolas Hourcade

Publié le par cahiers-ultras.over-blog.com

Nicolas Hourcade, sociologue à l'Ecole centrale de Lyon
Nicolas Hourcade : "Personne ne s’interroge de manière approfondie sur les violences des supporters"

Une nouvelle fois le foot est stigmatisé à cause de débordements de supporters...

Depuis le Heysel en 1985, le hooliganisme est considéré comme un phénomène abject. Ce drame et la régularité des incidents autour du football depuis interpellent. La question qui revient est toujours la même : comment peut-on se battre pour un simple match de foot ? Pour le grand public et également les politiques, ces supporters violents sont la débilité à l'état pur, le symbole d'une violence incompréhensible et sans cause. A partir de ce postulat de départ, il devient difficile d'interpréter ce phénomène.

Le football, dans l’esprit de la majorité des gens, c'est l'opium du peuple, le foot-business et le règne des supporters fachos. A l’inverse des émeutes urbaines qui suscitent des réflexions, personne ne s’interroge de manière approfondie sur les violences des supporters.

Il ne s'agit pas du tout d'excuser ces violences mais simplement d’essayer de comprendre ce qu’elles sont pour tenter de mieux traiter les problèmes. Je suis peut-être optimiste mais je pense que l'on pourrait y apporter une réponse plus efficace si on s’efforçait de les analyser. Contrairement à ce qui est souvent affirmé, il y a bien un enjeu intellectuel à comprendre ces violences.

Y a-t-il eu selon vous un emballement médiatique après le report du match OM-PSG et les violences qui s'en sont suivies ?

J'isole trois niveaux de réactions. La première réaction consiste à lier directement le report du match et les violences. On est dans la dénonciation basique et concrète des événements. Or, ce n'est pas parce que le match a été reporté qu'il y a eu des violences mais bien parce que des antagonismes préexistent.

Ensuite, vient le stade de la recherche de responsabilités. On entre alors dans un débat surréaliste comme s’il n'était pas possible d'avoir plusieurs responsabilités. La Ligue de football professionnel (LFP) est pointée comme l'unique responsable. Même si elle doit endosser une partie de la responsabilité, puisque le report du match au dernier moment a incontestablement aggravé la situation en ville, certains événements auraient eu lieu dimanche, que le match ait été maintenu ou qu'il ait été annulé la veille... Des hooligans du PSG avaient en effet prévu de faire un coup d'éclat à Marseille. Les policiers les ont relativement bien encadrés sur le Vieux Port. Ce sont les ultras d'Auteuil qui se sont retrouvés gare Saint-Charles en plein centre qui ont posé les plus gros problèmes. Ceux-là ne seraient pas venus en ville si le match avait été annulé la veille.

Le troisième temps de réaction apparaît avec la tentative d'interprétation du phénomène par les journalistes. Qui sont ces supporters violents ? Et là, les amalgames ne manquent pas dans les analyses.

Quels amalgames identifiez-vous ?

Il y a une confusion entre des formes de violences très différentes et également entre des supporters très différents, par exemple entre les hooligans et les ultras : les hooligans forment des bandes informelles centrées sur la violence, alors que les ultras se constituent en associations s’investissant dans le soutien au club et acceptant occasionnellement le recours à la violence.

Je prends l'exemple du JT de 20h sur France 2 lundi soir. Les journalistes sont partis des événements de Marseille. Dans un premier temps, ils ont interrogé un supporter parisien présent sur place dimanche. Et ensuite, la chaîne montre un reportage sur des "fights", ces affrontements entre des groupes de supporters rivaux organisés un peu partout en Europe.

Dimanche, ce sont plus à des émeutes urbaines qu'à des combats entre hooligans partageant les mêmes codes et les mêmes valeurs auxquelles nous avons assisté. C'est parti dans tous les sens, avec beaucoup de jets de projectiles, y compris des fenêtres des immeubles. Une partie de la population marseillaise a voulu défendre sa ville face aux Parisiens.

Globalement, j'ai l'impression que la couverture médiatique est la même que l'on parle de l'affaire de la banderole lors de Lens-PSG en 2008, des fumigènes en septembre 2009 ou de ces scènes d'émeutes. Pour moi, les événements de Marseille sont beaucoup plus graves et auraient pu se terminer dramatiquement. Cette hiérarchisation dans la gravité des incidents ne me paraît pas toujours effectuée.

Comment percevez-vous les réactions politiques ?

Le personnel politique marseillais focalise ses critiques sur les instances sportives. La décision tardive de la LFP a eu des conséquences directes sur la gestion de la sécurité publique dans leur quartier. Le principe de précaution aurait dû s'appliquer à la sécurité des milliers de supporters et aux habitants plutôt qu'aux 22 joueurs menacés par la grippe A. La Ligue s'est trompée de priorité.

Au niveau national et en particulier gouvernemental, il faut replacer les événements dans le contexte. En septembre, Brice Hortefeux a déjà annoncé des mesures pour lutter contre la violence dans les stades. Le gouvernement se retrouve pris entre deux logiques : comment gère-t-on la pandémie de grippe A et comment gère-t-on le problème des supporters ? Et il est peut-être plus délicat pour lui de communiquer sur un sujet qui concerne la sécurité publique et où sa gestion pourrait être mise en cause. Alors les membres du gouvernement concernés font globalement profil bas même si Rama Yade a tenté de défendre Frédéric Thiriez.

 

Propos recueillis par Anthony Hernandez



Publié dans Sociologie

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